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Joachim Murat, la tête sur les épaulettes

Epique. Prince italien et cadre dans l’informatique, le quinquagénaire, arrièrearrière- petit-fils du maréchal de Napoléon, arbore dignement le nom de son ancêtre connu pour ses gloires militaires et ses excentricités. Une lignée qu’il honore, même s’il se l’est appropriée sur le tard, avec nostalgie et fierté.


Au commencement, il y a une charge de légende inscrite dans tous les manuels d’histoire militaire. Sur
cette plaine d’Eylau, le 8 février 1807, 80 escadrons de cavalerie s’apprêtent à fondre sur les derniers
carrés russes. Près de 20 000 hommes, montés sur des chevaux aux pattes épaisses et aux sabots lourds,
piaffent sur la terre gelée, soufflant la buée par tous leurs naseaux. Ils sont tapis en ordre de bataille,
entre deux bois, sur cette plaine de l’actuelle oblast qu’est l’enclave de Kaliningrad, alors en Prusse
orientale. Quelque 80 000 sabots labourent le sol puis prennent leur galop pour mieux fondre sur
l’ennemi. Un fracas d’enfer grandissant, assourdissant puis, au final, meurtrier. A leur tête, le maréchal
d’Empire Joachim Murat, devenu beau-frère de l’Empereur après son mariage avec Caroline Bonaparte,
le 20 janvier 1800. Un personnage haut en couleur que ce fils d’un aubergiste et maître de poste, parfaite illustration de l’adage qui veut que chaque soldat de la grande armée «ait son bâton de maréchal dans sa giberne». Avant chaque charge, il a l’habitude de haranguer hussards, dragons, chevaux légers et lanciers en leur criant : «Suivez mon cul, il est rond comme une pomme ! »

«Il faut d’abord s’imaginer le cliquetis métallique des sabres que l’on défouraille. Un épais rideau de
neige empêchait toute visibilité. La terre était dure comme du bois. Les Russes n’ont rien vu venir. Ils
ont juste entendu le martèlement des sabots qui se rapprochaient puis, au dernier moment, les cavaliers
fondre sur eux. Il faut bien s’imaginer qu’à l’époque, ceux-ci faisaient demi-tour puis revenaient à la
charge quatre à cinq fois de suite. Dans leurs rangs court alors la rumeur : « C’est Murat qui charge ! »
Le nom les faisait trembler. Même les canons ennemis, dit-on, se taisaient quand Murat paraissait sur
le champ de bataille. Il a été de toutes les batailles de l’Empire, et des pires», raconte le prince Joachim
Murat, neuvième du nom, autour d’une table du X arrondissement de Paris. Un haut fait d’armes
immortalisé par le Colonel Chabert de Balzac. L’histoire d’un revenant au sens propre du terme, enseveli
sous les entrailles des chevaux pour reprendre place parmi les vivants.

Cette charge, le prince Joachim Charles Napoléon Murat, prince de Pontecorvo – une ville du Latium au
centre de l’Italie -, cadre dans une entreprise d’édition de logiciels informatiques, un presque quinqua
portant beau, la relate comme s’il l’avait conduite lui-même. Dans les moindres détails, comme un
tributaire de l’histoire, porteur d’un héritage. En arrière-arrière-petit-fils d’une lignée qu’il ne pouvait se
permettre d’ignorer, même s’il se l’est appropriée sur le tard.

« Panache à la Cyrano »

Au départ, l’héritier du roi de Naples, troisième du nom à être inscrit sur la liste des héritiers de la
couronne impériale, regarde l’histoire familiale sans trop y prêter d’attention. Peut-être parce que le poids dévolu au premier garçon de la maison, celui de porter le prénom de leur illustre aïeul, était un peu trop lourd sur les épaules d’un jeune homme. «En fait, j’ai découvert Murat sur le tard, vers la trentaine. Au départ, je n’étais pas plus passionné que cela.» Dans son appartement parisien, il en conserve d’ailleurs un portrait. Tous les autres souvenirs ont été dispersés entre les différentes branches de la descendance. Les biens, eux, se sont évaporés au fil de l’histoire. «Il n’aura fallu que six générations.» Ne reste que les titres qui, reconnus officiellement par l’Etat italien, pourraient être mentionnés sur ses papiers d’identité, délivrés par la République française. «Ma fille, qui vit en Angleterre, a des papiers où il est inscrit « princesse » comme profession.»

Depuis sa rencontre avec ce maréchal d’Empire, roi de Naples et de Sicile, il est intarissable sur son
ancêtre qu’il pourrait décrire comme s’il l’avait croisé la veille. «Murat, c’est d’abord un physique, un
homme assez grand pour son époque, du panache, un peu à la Cyrano, et pas mal d’intelligence. Et du
courage aussi. C’est d’ailleurs pour cela qu’il s’habillait de manière voyante, avec toujours un panache
blanc pour qu’on le repère, pour que les ennemis sachent qu’il était là. Il portait de longs favoris pour
masquer la blessure qu’il avait reçue lors de la bataille d’Aboukir. Une balle lui avait traversé la joue de
part en part. Ses tenues, pour le moins chamarrées, lui auraient d’ailleurs valu une remarque de
Napoléon. L’Empereur lui aurait dit un jour : « Murat, allez-vous mettre en tenue de général français, vous avez l’air de Franconi »», du nom d’un écuyer célèbre sous le premier Empire. Une famille qui régna
sur le Cirque d’hiver jusqu’au milieu des années 30, avant de passer le flambeau à la famille Bouglione. Le cirque, un monde que Joachim Murat connaît bien pour avoir fait, jeune homme, trois saisons au Cirque d’hiver avec les Bouglione, pendant deux mois au moment des fêtes de fin d’année. Un petit boulot, là encore, placé sous la férule bienveillante du roi de Naples. Les Bouglione, une famille d’écuyers, se passionnent pour le cavalier. Au point que Louis Sampion Bouglione fait éditer à compte d’auteur Lettres d’un roi, correspondances du maréchal Murat. «Comment ne pouvais-je pas prendre le plus grand cavalier de tous les temps comme icône ?» écrit-il en préface de ce livre dont les illustrations rappellent les images d’Epinal. Une icône qu’enfant, le neuvième du nom néglige. Pas question pour lui de refaire les batailles du grand cavalier en alignant les soldats de plomb comme à la manoeuvre. «Quand j’étais petit, je voulais être cascadeur, correspondant de guerre ou policier. Rétrospectivement, je me dis que je garde le côté aventureux et tête brûlée de mon ancêtre. Un jour, lors de la reconstitution de la bataille de Waterloo, le ministre de l’Intérieur belge est arrivé vers moi en me disant : « C’est formidable, vous avez l’ADN de l’Empereur. »» Une autre fois, avec le chef d’état-major de l’armée hongroise, il passe deux heures à refaire toute l’histoire de ces fameuses charges. Il entretient également des relations suivies avec le grand-duc Georges Romanov. Lui qui a vécu six ans et demi en Inde, de 2008 à 2014, pour le compte de l’entreprise Safran afin de mettre en place un état civil biométrique, visite une loge maçonnique à Colombo, au Sri Lanka, et y découvre avec surprise un portrait de son aïeul. Pour ressembler, sans doute de manière inconsciente, au vrai Murat de légende, blessé à la joue, il s’est infligé la même blessure. A 14 ans, il s’amuse, seul, à jouer à la roulette russe avec un pistolet d’alarme. Le coup est parti. Il en garde dans la mâchoire quelques petits grains de plombs, bien visibles à chaque radio dentaire.

« La liberté ou la mort »

Du nom, Joachim Murat sait qu’il est tributaire. «Pour porter le nom, il faut déverrouiller quelque chose
en soi et surtout se mettre au niveau.» L’élève dissipé qu’il était, un temps cascadeur avant de faire des
chantiers d’appartement, s’est donc mis à bûcher sur le tard. «Au collège, à Beaumont-sur-Oise, un jour,
un prof m’a dit : « Murat si j’étais votre ancêtre, je vous taperais du plat de mon sabre. « » A la trentaine,
tout en travaillant, il passe un doctorat en droit et sciences politiques sur «les modifications des
frontières en Europe balkanique après l’effondrement du mur de Berlin». «Aujourd’hui, je suis
totalement au service des passionnés de l’Empire. Je suis président d’honneur du comité d’honneur du
souvenir napoléonien, et mon père est président d’honneur de toutes les associations napoléoniennes.»

Mais au patronyme incombent des devoirs qui ne s’arrêtent pas là. «Tous les princes Murat ont servi
dans toutes les guerres de la France.» Son arrière-grand-père commandait un des forts autour de
Verdun, avant de siéger député dans la «Chambre bleu horizon», en 1919. Résistant, son grand-père a été tué par la division SS Das Reich, dans un maquis de l’Indre, près de Châteauroux, où il combattait aux côtés de son cousin, le prince Louis Napoléon. «Mon père, pupille de la nation, est né trois mois après sa mort.»
Après l’école des officiers de réserve, Joachim Murat rejoint le 14 régiment parachutiste de
commandement et de soutien (RPCS) pendant son service militaire. Comme réserviste, il effectuera une
mission au Kosovo avec le 1 régiment parachutiste d’infanterie de marine (RPIMA) des forces spéciales.
«Le passage par l’armée était bien évidemment une case essentielle à cocher. Quand nous avons
l’opportunité de servir, on sert. Point. Cela ne se mégote pas. J’ai toujours mis un point d’honneur à
travailler pour des entreprises françaises qui oeuvraient dans les domaines de la souveraineté
nationale.» Une ligne de conduite cohérente avec son héritage.
Il n’hésite pas à se revendiquer comme souverainiste gaulliste et bonapartiste – cela va de soi – avec des
idéaux humanistes qui l’ont notamment poussé à participer au comité de lutte contre l’esclavage
moderne. «Il ne faut pas oublier d’où venait Murat. Il est le dernier d’une famille de 11 enfants dont le père était un simple aubergiste dans le Quercy. Il est un temps destiné à une carrière ecclésiastique
avant de s’enrôler dans l’armée. C’est d’abord un soldat de l’an II, de la levée en armes des citoyens. Son
amitié avec Napoléon se noue durant la campagne d’Italie.» Les grognards portaient alors sur leurs
bonnets cette devise : «La liberté ou la mort.»

Son héritage, Joachim Murat le porte avec fierté mais sans forfanterie aucune, avec ce petit côté un rien
bravache hérité de celui qui, lors du coup d’Etat du 18 brumaire (9 novembre 1799), entra dans la salle du conseil, à la tête de 60 grenadiers, avec ces mots : «Citoyens, vous êtes dissous. Foutez-moi tout ce
monde-là dehors !»

«Aujourd’hui, ne plus pouvoir faire de sa vie une épopée, c’est un vrai regret. C’était quand même autre
chose que d’être dirigeant chez Amazon. Donc oui, je porte ce nom avec honneur et fierté.» Peut-être
avec une pointe de nostalgie. Autant de celle de l’épopée impériale que d’une «certaine idée de la France» comme disait le général de Gaulle. «L’exemplarité française s’est diluée dans un matérialisme outré. Nous avons perdu le sens de la grandeur et de l’intérêt général», poursuit le prince Joachim Murat, conscient qu’il ne suffira pas d’une charge verbale pour les restaurer.

Article de Libération publié le 26 août 2020